L'actualité de la crise : CEUX QUI FONT BOUGER LES LIGNES, par François Leclerc

Billet invité.

Sujet du moment, la séparation des activités des banques afin de protéger les déposants et les contribuables de leurs activités spéculatives a deux logiques possibles. Soit de brouiller les cartes afin de préserver la banque universelle, dont la définition est précisément de tout faire dans une seule entité, soit d’imposer des entités rigoureusement distinctes : d’un côté l’intermédiation classique, de l’autre le casino.

Faisant contraste avec le projet de loi gouvernemental français, fraîchement accueilli en attendant le débat parlementaire de février, une commission du Parlement britannique vient de rendre ses conclusions : elle préconise de renforcer les mesures de la commission Vickers, avalisées par le gouvernement britannique, qui a repoussé à une date indéterminée leur application. Après avoir passé sur le grill des responsables de banques, les honorables parlementaires préconisent d’« électrifier » la clôture séparant les activités bancaires et de donner le pouvoir aux autorités de les séparer en deux entités totalement distinctes, si nécessaire. Le Financial Times, qui rend compte de ses travaux, s’empare de la question dans l’un de ses éditoriaux et remarque que, tant qu’à faire, pourquoi ne pas réaliser cette séparation dès le départ – solution qui a ses faveurs – plutôt qu’à l’arrivée ?

Encore un petit effort ! Quel sens cela a-t-il, une fois reconnu que des activités financières peuvent être nuisibles, de les autoriser ? Les casinos peuvent être fermés quand les règles ne sont pas respectées dans leurs salles de jeu, ce que les manipulations du Libor (en attendant l’Euribor) viennent de magistralement mettre en évidence, pour s’en tenir à ce seul épisode.

Ancien ministre turc de l’économie, Kemal Derviş a une belle carte de visite. Ancien administrateur du Programme pour le développement de l’ONU et vice-président de la Banque Mondiale, il est actuellement l’un des vice-présidents de Brookings Institution, un prestigieux think tank de Washington. Il vient de poser une innocente question dans un dernier article titré : « Les banques centrales devraient-elles se donner le taux de chômage comme cible ? » (au lieu de celui de l’inflation).

Prenant appui sur la récente décision de la Fed qui en a décidé ainsi – liant son taux zéro au seuil de 6,5% de chômage qu’il faudrait atteindre pour qu’elle y renonce – il s’interroge sur la possibilité que la BCE en fasse autant, arguant du fait que si le taux de chômage est de 7,7% aux États-Unis, il est de près de 12% dans la zone euro. Il émet ainsi l’hypothèse que la cible d’inflation de la BCE devienne provisoirement de 3%, au lieu des classiques 2%, ce qui n’implique pas de changement de Traité. Il se rapproche également de la proposition d’adopter une cible de croissance nominale (hors inflation), la position défendue par le futur gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney.

Décidément, il ne suffit pas d’être iconoclaste pour être logique. Si le désendettement se révèle impossible, pourquoi choisir la voie de l’inflation – en espérant la contenir modérée – et ne pas envisager de restructurer la dette ? C’est une question à laquelle il est d’abord répondu par la négative, chaque fois que la dette devient insoutenable. Cela a été le cas avec la Grèce, avec la suite que l’on a connue à deux reprises en attendant la troisième, et c’est aujourd’hui celui de Chypre.

Devant l’imminence d’un défaut, le FMI vient de préconiser un effacement partiel de la dette chypriote, selon le Süddeutsche Zeitung. Jean-Claude Juncker, chef de file de l’Eurogroupe, considère cette fois-ci plus prudemment que « ce n’est pas un instrument prioritaire », tandis que Jörg Asmussen, membre du directoire de la BCE, dit que « la question ne se pose pas », tout en reconnaissant « cependant, il est prévisible que le niveau d’endettement de Chypre ne sera pas supportable »…

Manque de logique ou pas, les lignes bougent pour reprendre l’expression d’un chef d’État qui n’y contribue pas. Semblant exprimer un paradoxe, des financiers qui connaissent leur monde avancent des propositions hétérodoxes que les politiques ignorent, pétris de conformisme et soumis à l’influence de mauvais génies. Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques et monétaires, vient de déclarer dans Le Monde : « Une fois que vous avez une stratégie budgétaire crédible à moyen terme, y compris par le biais de réformes, vous pouvez avoir un ajustement plus doux ». Mettre l’accent sur les réformes structurelles est la voie illusoire qui a été choisie pour infléchir la stratégie européenne de désendettement. Là aussi, il faut aller au bout de la logique !

21 réponses sur “L'actualité de la crise : CEUX QUI FONT BOUGER LES LIGNES, par François Leclerc”

  1. une cible d’inflation nominale (hors inflation),

    De la créativité nominale en période perturbée?
    Dans l’inflation totale, quelle sont les parts non nominale et nominale ?
    La décision est prise au doigt mouillé ?
    Le lobby de gouverneurs centraux décidera entre la poire et le fromage ? tout en sachant que les poires …

    1. Bonsoir Jeanba Ba

      On est plus à ça prêt, c’est rien par rapport au 1600 milliards d’aides déjà accordés aux banques depuis 2008 et puis c’est Noêl quoi!

      1. à ça près, pas prêt, sinon contresens, Riva. Mais c’est bien des prêts, Riva, mais t’es pas à ça près, ni prêt.

  2. Concernant la réforme bancaire en France, voilà ce que j’ai écrit et envoyé par mail à la permanence PS de mon département:

    « on lit que la France s’apprête à faire une réforme bancaire édulcorée, molle qui n’empêchera pas d’autres crises et où le contribuable se verra toujours sollicité pour secourir les banques qui ont fautées. »

    Et voici la réponse du PS ce jour:

    « Bonjour,
    >
    > Une réforme bancaire vient d’être adoptée lors du Conseil des Ministres, le 19 décembre. Elle prévoit une séparation stricte entre les activités spéculatives et les activités utiles au financement de l’économie réelle.
    >
    > Bien cordialement, »

    Allélouïa! les lignes bougent!…..

    1. « les activités spéculatives et les activités utiles au financement de l’économie réelle » , oui oui , sauf que les activités spéculatives sont maintenant pour la plupart assimilées à »utiles » au financement de l’économie réelle , bien malin celui qui trouvera l’étalon qui les différenciera , d’où la mollesse de la réforme envisagée … les jeux sont faits , il est bien temps d’y penser maintenant ! L’étanchéité des deux concepts bancaires est depuis si longtemps disparue que…cette réformette euh….

    2. On vit une époque formidable…Où la langue de bois politique est grandement facilitée par l’ automatisme des réponses par mails…Comme disait un ancien slogan de pub pour la sécu : « Les mots clés,c’est bien…En abuser,ça craint ! »

      Sinon,pour l’article (de F. Leclerc ) lui-même, il faut toujours garder à l’esprit que ce sont les chiffres officiels ! Chaque pays faisant sa tambouille perso… Je ne dis pas que les proportions changeraient beaucoup avec les vrais chiffres mais bon….

  3. « Il se rapproche également de la proposition d’adopter une cible d’inflation nominale (hors inflation), la position défendue par le futur gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney. »

    Je ne comprends pas cette phrase! C’est quoi une « cible d’inflation nominale (hors inflation) »?

  4. C’est peut être , en fait , parce que les lignes de la réalité font de la résistance , que ceux qui connaissent au plus près ce que leurs vérités « économiques » étaient censées faire bouger , se posent des questions et bougent ( un peu) eux même .

    Pourvu qu’ils ne restent pas seuls à ouvrir les yeux .

  5. J’adore les  »glissements sémantiques » des dirigeants politiques et économiques.
    En l’occurence :
    Dernier jus :  »Elle prévoit une séparation stricte entre les activités spéculatives et les activités utiles au financement de l’économie réelle. »
    Auparavant dans les  »60 engagements de François Hollande »
     »Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives. »
    Une toute petite différence

    1. Plus drôle encore cette dérive du sujet du verbe « séparer » , du « je » vers le « elle » signe d’un abandon de prérogative ?

      Bien vu Bigglop !

  6. les liberaux disent que c’est l’avidite qui fait bouger l’homme, mais avant l’avidite il y a l’envie de survivre tout simplement

  7. Bonsoir vigneron.

    Merci d’avoir corrigé cette grossière faute d’orthgraphe qui n’a pas échappé à votre sagacité.

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